LA RÉUTILISATION DES EAUX USÉES TRAITÉES
Dans un contexte de changement climatique, la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) est une ressource complémentaire fréquemment citée comme alternative aux prélèvements en eau. Cette pratique est encore peu développée en France comparativement aux autres pays méditerranéens. Cette page a pour objectifs de présenter une pratique et ses enjeux encore méconnue.
QU’EST-CE-QUE C’EST ?
Dans le fonctionnement « classique » d’une commune, l’eau est prélevée dans le milieu naturel puis elle subit un traitement afin de devenir potable. L’eau est ensuite acheminée aux domiciles pour être utilisées. Après utilisation, ces eaux, qualifiées d’usées, sont collectées et traitées dans des stations d’épuration pour pouvoir être rejetées dans la nature une fois débarrassées de leur pollution. C’est ce que l’on appelle le petit cycle de l’eau.
Plutôt que de les rejeter, certaines communes mobilisent ces eaux usées traitées pour de nouveaux usages, c’est ce qu’on appelle « la réutilisation des eaux usées traitées». Ces usages sont très variés à travers le monde. En fonction du niveau de traitement de la station d’épuration, les eaux usées traitées sont réutilisées pour de l’irrigation (golfs, espaces verts, surfaces agricoles), des procédés industriels voire même de l’eau potable.
PRATIQUES ACTUELLES
À travers le monde, la pratique s’est développée principalement dans les zones touchées par des pénuries d’eau chroniques. Ainsi Windhoek, capitale de la Namibie, fut le premier cas de REUT pour l’eau potable en 1969. La Tunisie a défini une réglementation pour encadrer la pratique dès 1985 et réutilise plus de 50% de ses eaux usées. Enfin Israël, réutilise aujourd’hui 91% de ses eaux usées traitées dont 71% servent à l’irrigation des cultures. L’Australie, Singapour, les Etats Unis ou encore l’Espagne sont également régulièrement cités en exemple.
En Europe, seulement 2.4% des effluents de station d’épuration sont réutilisés annuellement. Cela représente 0.4% des prélèvements. La pratique est très inégalement mise en œuvre à l’échelle européenne. Chypre (90% des rejets utilisés), Malte (60%), l’Espagne (12%), l’Italie (8%) et la Grèce (5%) sont les pays qui ont le plus recours à la REUT.
En France, les projets de réutilisation ont émergé dans les années 80 sur des territoires insulaires (Porquerolles, Noirmoutier). La pratique s’est peu développée avec seulement 0.2% des eaux usées traitées réutilisées chaque année. En 2016, un rapport du Cerema dresse un état des lieux de la pratique en France. Il recense 122 cas en France (sur environ 20 000 stations d’épuration) principalement pour de l’irrigation agricole et l’arrosage des golfs.
Voir les exemples de :
Gruissan (près de Narbonne) :
Cannes :
CADRE RÉGLEMENTAIRE
En France, deux arrêtés (du 2/08/2010 et 25/06/2014) régulent uniquement l’utilisation d’eaux issues du traitement d’épuration des eaux résiduaires urbaines pour l’irrigation de cultures, d’espaces verts et de loisirs.
La réglementation définit 4 classes de qualité d’eau allant de A à D. A chaque classe sont associées des contraintes d’usages, de distance et de terrain à respecter en fonction de la culture et de l’espace que l’on souhaite irriguer.
Une surveillance doit être mise en place sur les eaux usées traitées, les eaux usées brutes, les boues et les sols (vérifier que le sol joue son rôle épurateur dans le temps) avec différentes fréquences d’analyses.
Les projets sont instruits par les Directions Départementales des Territoires (DDT) en coordination avec les Agences Régionales de Santé (ARS).
Une réglementation européenne est en cours d’élaboration mais elle n’est pas encore effective.
ENJEUX
La réutilisation des eaux usées traitées est une alternative mise en avant pour réduire la pression sur les ressources en eau dites conventionnelles (eau de surface ou souterraine) destinées à la production d’eau potable. Elle permet une consommation plus économe de la ressource en eau tout en limitant la dégradation de la qualité des eaux de surface par l’utilisation du système épurateur sol-plante pour un traitement complémentaire des effluents de stations d’épuration.
Cependant, la réutilisation des eaux usées traitées ne peut être bénéfique et sans risques sans s’assurer au préalable du bon fonctionnement de la station d’épuration.
La qualité des eaux de l’effluent est la condition majeure à respecter pour la mise en œuvre de la pratique. Cela signifie d’adapter le choix de la filière de traitement à l’usage envisagé mais aussi de s’assurer de la fiabilité des procédés de traitement avec un suivi régulier de la qualité des eaux produites.
Une approche à barrières multiples est promue par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS, 2017) pour assurer cette fiabilité. Cela consiste à mettre en place des « barrières » technologiques ou naturelles successives pour éliminer les contaminations potentielles. Cette approche reconnaît que chaque barrière individuelle ne peut entièrement prévenir la contamination mais que leur combinaison garantie une consommation sécurisée de l’eau produite.
Dans les stations d’épurations, l’eau pourra être filtrée, décantée, aéré, clarifiée, infiltrés, traitées aux UV, etc.
Schéma simplifié du dispositif REUT avec les différents cas testés
« Les conditions de REUT doivent être encadrées réglementairement afin de prévenir les risques sanitaires liés à cette pratique. En effet, les eaux résiduaires urbaines, même traitées par une station d’épuration (STEP), contiennent divers micro-organismes pathogènes et des éléments organiques et minéraux potentiellement toxiques. » Anses, 2012.
Il existe différents types de risques sanitaires avec les eaux usées traitées :
- Des risques physico-chimiques liés aux composants chimiques et aux métaux lourds contenus dans les eaux usées
- Des risques microbiologiques liés à la présence d’agents pathogènes : bactéries, parasites et virus
L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) a rendu un avis en 2008 relatif aux modalités d’arrosage de cultures ou d’espaces verts à partir d’eaux usées traitées. Cet avis se concentre principalement sur les contaminations par voie orale. Il recommande impérativement l’encadrement de la pratique selon le schéma suivant, qui a servi ensuite à l’élaboration de la règlementation :
En 2012, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a complété cet avis de 2008 pour intégrer les risques physico-chimiques et microbiologiques de contaminations par voie respiratoire. 10 contaminants chimiques ont été testés et l’étude conclut que « sauf pollution ponctuelle ou accidentelle, ces substances ne devraient pas se retrouver dans les EUT à des concentrations pouvant induire par voie respiratoire un effet néfaste pour la santé des populations lors de l’irrigation par aspersion des cultures ou l’arrosage des espaces verts et des golfs. » Un ensemble de mesure est toutefois imposé pour limiter l’exposition humaine en période d’irrigation des cultures et des espaces verts.
Le cas des médicaments
Depuis plusieurs années, la présence de résidus médicamenteux dans les eaux soulève de nombreuses interrogations. Les risques sanitaires liés à ces substances inquiètent particulièrement l’opinion publique d’autant qu’il n’existe actuellement aucune réglementation sur la question.
Toutefois, à ce jour, aucune étude n’a démontré de risque sanitaire lié à la présence de résidus de médicaments dans l’eau. Le cas emblématique des changements de sexe observés chez les poissons est attribué aux perturbateurs endocriniens. ” Or, à part les résidus de pilules contraceptives, peu de médicaments sont des perturbateurs endocriniens, et cette pollution est plutôt à chercher du côté des déchets de plastiques, des résidus de cosmétiques, etc. ” assure le Pr Yves Lévi de la faculté de Pharmacie de l’Université Paris sud et membre de la Commission spécialisée risques liés à l’environnement du Haut Conseil de la santé publique.
Sciences et Avenir – Nos médicaments polluent les rivières
Deux études françaises (Amperes en 2008 et RSDE en 2009)* ont quantifié différents micropolluants dans les rejets de STEP dont les résidus médicamenteux. Leur présence dans les eaux usées traitées et leur possible accumulation dans les sols ont été mises en évidence dans des proportions globalement faibles.
Les études montrent que la majorité des micropolluants présente des concentrations moyennes inférieures à 1 microgramme/l en entrée de STEP et que certains de ces composés sont partiellement éliminés tandis que d’autres, (pesticides, antidépresseurs) sont réfractaires au traitement dans la plupart des stations d’épuration actuellement en fonctionnement et se retrouve donc en faible concentration dans les milieux.
On ne peut pas conclure immédiatement à une absence de risque du fait notamment des effets à faibles doses, des multiples effets biologiques envisageables et d’un potentiel effet « cocktail ».
Des équipes du département des sciences environnementales de l’Université de Californie ont complété ces études en travaillant sur les transferts de médicaments dans les végétaux. Ils ont testé, en champs, 19 substances médicamenteuses dans 8 légumes différents. Dans 64% des cas des traces ont été retrouvé. Selon les chercheurs, la consommation de ces légumes irrigués avec des eaux usées traitées entrainerait l’ingestion de 3.69 microgrammes (0.003 mg) par an de ces résidus. Cette dose est à rapprocher des 200mg généralement retrouvés dans un seul comprimé. Des travaux sont en cours sur ces sujets sur un site expérimental proche de Montpellier, par HSM et l’IRSTEA dans le cadre du travail d’un PostDoc. En première approche les doses identifiées restent aussi faibles que dans l’étude ci-dessus.
*Programme de recherche sur l’Analyse de Micropolluants Prioritaires et Émergents dans les Rejets des Eaux Superficielles (AMPERES). Action de Recherche et réduction de substances dangereuses pour le milieu aquatique (RSDE1).
Consultez les documents de l’AFSSA et l’ANSES dans la partie documentation.
Le principal intérêt pour un usage agricole de la réutilisation des eaux usées traitées est la sécurisation de la ressource en eau, notamment en situation de sécheresse. En été, des restrictions d’usages sont mises en place une année sur deux dans la moitié des départements français à cause du manque d’eau. L’irrigation issue de la rivière ou de sa nappe phréatique est limitée, voire interdite, pendant des semaines. Le stockage de ces eaux traitées faciliterait la production agricole sur cette période estivale.
La pratique permettrait également d’économiser des fertilisants aux agriculteurs. L’azote et le phosphore présents dans les eaux usées peuvent être valorisés par les exploitants qui ont besoin de cet apport de nutriments pour leur production.
Toutefois, il est important que la mise en œuvre de la pratique soit accompagnée d’un bon système de drainage pour éviter la détérioration des sols par accumulation de sels, même si ce risque est faible en conditions tempérées.